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Complément sur Simone Weil et le serpent d’airain

Je m’aperçois que j’ai oublié le principal dans l’article précédent à propos de l’interprétation du serpent d’airain dans le livre des Nombres 21: 9 et l’évangile de Jean 3:14

https://mathesismessianisme.wordpress.com/2015/06/16/simone-weil-et-la-mathematique-suite-la-sphere-et-la-croix/

J’aurais pu le rajouter à la fin de l’article car ce n’est pas long mais je préfère lui donner plus de “publicité” en créant un article nouveau, et puis l’article précédent est déjà assez long comme ça..

Le passage du livre des Nombres 21-6 à 9 dit donc:

http://www.aelf.org/bible-liturgie/Nb/Livre+des+Nombres/chapitre/21

06 Alors le Seigneur envoya contre le peuple des serpents à la morsure brûlante, et beaucoup en moururent dans le peuple d’Israël.
07 Le peuple vint vers Moïse et dit : « Nous avons péché, en récriminant contre le Seigneur et contre toi. Intercède auprès du Seigneur pour qu’il éloigne de nous les serpents. » Moïse intercéda pour le peuple,
08 et le Seigneur dit à Moïse : « Fais-toi un serpent brûlant, et dresse-le au sommet d’un mât : tous ceux qui auront été mordus, qu’ils le regardent, alors ils vivront ! »
09 Moïse fit un serpent de bronze et le dressa au sommet du mât. Quand un homme était mordu par un serpent, et qu’il regardait vers le serpent de bronze, il restait en vie

Cela c’est la grande légende racontée dans la Torah, cela concerne l’errance d’Israel au désert : le peuple “à la nuque raide” doute, il se plaint, il récrimine, alors l’Eternel décide de le punir en envoyant des serpents.

Mais quelle est la signification de ces morsures dans le cadre de mon interprétation de ces serpents “rusés”, “prudents”, (selon la citation de Matthieu que j’ai ajoutée aux deux autres) représentant comme je l’ai dit l’intelligence des choses, ce que Simone Weil nomme “raison naturelle”, adaptée aux desseins que les hommes peuvent former en ce monde pour améliorer leur condition et leur confort. Intelligence d’ingénieur dirons nous..

J’interprète donc tout naturellement la morsure des serpents ainsi, dans un contexte tout autre que celui du désert il y a plus de 3000 ans, dans le contexte de notre modernité et de triomphe de la technique :
Être mordu par les serpents de la techno-science cela signifie que l’on est pris dans la multiplicité des désirs vitaux, des projets, des plans pour “s’en sortir”, je ne vais pas m’attarder, nous connaissons tous cela : changer de poste pour avoir un meilleur salaire, changer de voiture, de maison, etc…

Bref perdre sa vie à la gagner..

La morsure des serpents cela signifie pour nous autres occidentaux qui vivons actuellement : être englué dans la multiplicité des “choses” comme disait Georges Perec dans son roman qui s’appelait justement “Les choses”.

Cette multiplicité non unifiée peut aussi être celle des connaissances cherchées seulement par curiosité, pour tromper l’ennui, ou par la libido sciendi dénoncée par Pascal.
Dans la Bible ces morsures de serpents sont une punition envoyée par l’Eternel au peuple qui a récriminé, qui a douté , qui s’est plaint du manque d’eau et de nourriture, bref qui n’a pas supporté l’ascèse vitale du “désert” : en termes de notre condition moderne d’êtres qui cherchons le spirituel , cela signifie que nous sommes impuissants à nous désengluer de la pusillanimité des désirs pour les nouveaux objets construits grâce à la technoscience (comme portables, tablettes, voitures etc..) par ce qu’en fait nous doutons, nous nous disons que peut être cette quête du spirituel est vaine, qu’il vaut mieux être heureux en achetant tout ce que nous pouvons.
Bref nous nous disons que vivre c’est survivre..et puis mourir. Nous n’arrivons pas à “renoncer à la mort” comme nous y invite Brunschvicg.
Mais pourquoi cette élévation du serpent d’airain conseillée par Dieu à Moïse qui guérira ces morsures rien que par le regard : quiconque était mordu et regardait le serpent d’airain restait en vie.
Le serpent d’airain symbolise à mon avis , dans le cadre de l’interprétation que je propose, la science théorique, mathématique , la raison désintéressée (et non pas surnaturelle) dont parle Brunschvicg.
Ce “regard vers le serpent d’airain” c’est la réflexion intérieure que chacun peut faire (s’il le veut vraiment) sur ses opérations mentales lorsqu’il veut réaliser un plan, bâtir une maison, une machine…
Il n’y a qu’une seule raison, pas une raison naturelle, et une raison surnaturelle comme le dit Simone Weil (Thomas d’Aquin parlait aussi de raison supérieure accordée aux choses divines et de raison inférieure accordée aux choses d’ici bas)
Il n’y a qu’une seule raison mais orientée différemment : vers le plan vital, la nature dans les projets d’ingénierie de la technique…
Ou bien vers le plan spirituel dans le changement d’orientation du regard “vers le serpent d’airain”. Ce regard réflexif alors la “mutation du serpent rusé” dont la morsure n’est alors plus mortelle, car ce nouveau regard ne s’adresse plus aux objets naturels, aux choses du monde, mais aux essences mathématiques, aux idées du plan spirituel.
Exemple : la théorie des groupes est née au 19ème siècle de la réflexion sur la symétrie dans les jeux et les déplacements, qui a mené à la notion de groupe de symétrie, puis de groupe abstrait. Sans cette réflexion pas de physique moderne, où la théorie des groupes joue un rôle fondamental..
J’ai aussi opposé aux “serpents rusés, prudents” la pureté, la simplicité des “colombes” selon le verset de Matthieu 10:16.
L’interprétation est là aussi évidente : lorsque le serpent “mute” grâce au “regard vers le serpent d’airain”, c’est à dire grâce à la réflexion sur la science théorique, et donc que les plans censés réaliser la multiplicité indéfinie des désirs vitaux (après les portables, les téléviseurs, les tablettes, quoi ? Autre chose, toujours et toujours…) sont oubliés temporairement pour les théories (mot qui en grec veut dire “contemplation”), il arrive que le serpent mute tellement qu’il devient une colombe, symbolisant la pureté, la simplicité, l’absence de mélange et d’artifice, bref l’Unité de la tunique sans couture, le (Saint) Esprit, qui consiste en intelligibilité et unité totale dans la compréhension ultime de Tout.
Bref le projet qui est la pierre de fondation de l’Occident dans Descartes, Malebranche et Spinoza.
Et ce projet d’unité à partir de l’ontologie du multiple pur est exactement le projet de

μαθεσιϛ universalis οντοποσοφια

qui est poursuivi dans les quatre blogs du même nom:

https://meditationesdeprimaphilosophia.wordpress.com

et

https://mathesismessianisme.wordpress.com

et

https://mathesisuniversalis2.wordpress.com

et

https://mathesisuniversalis.wordpress.com

Il y a de l’or dans cette poussière

Cette belle expression se trouve dans cet article, employée à propos de la fin de vie (en exil) de Léon Brunschvicg:

il y a de l’or dans cette poussière

Elle évoque le film de Theo Angelopoulos:

“La poussière du temps”

à propos duquel on peut lire ceci:

Sur Eleni et La poussière du temps : la troisième aile de l’ange

ainsi que cette page:

La troisième aile de l’ange

Ces considérations rappellent aussi les propos de Marie Anne Cochet sur la vie de l’Esprit qui se développe en un présent “éternel”:

La vie de l’esprit et le présent éternel

« Platon et Spinoza sont nos contemporains car ce qui fut chronologique dans leurs écrits n’est plus que la poussière déposée par le temps sur un tableau de maître.

Nous l’écartons sans peine et contemplons l’éternelle beauté du tableau«….

….« Du présent éternel, lieu de l’esprit, au présent chronologique, lieu des corps, se poursuit ce mouvement de va et vient, courant spirituel, tour à tour créateur et destructeur des formes, qui marque positivement la différence entre la science et la philosophie.
Car la science connaiît son objet en le dissolvant, mais la philosophie écarte aussi bien les débris de cette dissolution que les embryons des formes renaissantes et s’unit exclusivement au mouvement spirituel qui ne se sert des formes qu’il crée que pour prendre sur elles l’élan qui les détruira en les dépassant.

Emmanuel Lévinas s’exprime ainsi en 1949 à propos de la fin de vie de Léon Brunschvicg, de juin 1940 à sa mort en janvier 1944:

S’identifier avec la conscience humaine, telle semble avoir été la vie humaine d’un Brunschvicg. C’est pourquoi on ne trouve pas dans l’Agenda, au cours de cette année 1942, la moindre trace de réaction spécifiquement juive. Brunschvicg n’est blessé que dans sa conscience d’homme. Et certainement il n’y a dans ce silence aucune dissimulation. Membre du Comité Central de l’Alliance Israélite depuis bien avant la guerre, Brunschvicg ne cherchait jamais à faire oublier ses origines. Mais c’est par là peut-être qu’il représente – même pour ceux qui ne se sentent hommes qu’à travers leur judaïsme – une réussite profondément respectable de l’assimilation (tant décriée et à juste titre). L’assimilation chez Brunschvicg ne procédait pas d’une trahison, mais d’une adhésion à un idéal universel qu’il était de taille à revendiquer en dehors de toute appartenance particulariste. […]
“On ne peut travailler efficacement pour l’avenir que si l’on veut le réaliser immédiatement” (24 octobre 1892)… “Et totalement, ce qui n’allège pas la besogne” (1942). Pensée de juif. Pensée à laquelle fait écho le célèbre vers de Bialik : “Et si la justice existe, qu’elle apparaisse immédiatement.” Athéisme plus proche de Dieu Un que les expériences mystiques et les horreurs du sacré dans le prétendu renouveau religieux de nos contemporains.
Notre génération ne saurait, certes, tirer de l’expérience hitlérienne ce que la génération de Brunschvicg avait tiré de l’Affaire Dreyfus. Si la victoire de 1945 démontre que dans l’histoire, en fin de compte, le vice est puni et la vertu récompensée, nous ne voulons pas, une fois encore, faire les frais de cette démonstration. Mais qu’en partant vers les horizons spirituels – et parfois géographiques – nouveaux, la jeunesse juive d’aujourd’hui ne secoue pas purement et simplement de ses souliers la poussière du monde qu’elle quitte. Il y a de l’or dans cette poussière

L’article commenté ici est paru dans les Archives juives, il parle aussi du “judaïsme rationnel” de Brunschvicg qu’il compare à celui de Spinoza.

Mais comment parler d’un judaïsme de Spinoza après le herem de 1656?
Pour ce qui est de Brunschvicg, il est exact qu’il n’a jamais cherché à cacher ses origines.

Mais il me semble que Lévinas cède à la confusion lorsqu’il parle d’un athéisme de Brunschvicg, oubliant ce propos datant de 1900 et que Brunschvicg n’a jamais renié:

“Les trois propositions génératrices du scepticisme, de l’immoralisme et de l’athéisme sont le vrai est, le bien est, Dieu est”

Cette confusion consiste à tenter de comprendre dans le registre de la pensée ontologique, selon l’être, la pensée de Brunschvicg qui se développe dans le registre de la pensée selon l’Un.

Lévinas, se référant au Shma Israël du livre de l’Exode :

http://fr.m.wikipedia.org/wiki/Chema_Israël

aurait nié ceci, en parlant du “Dieu Un”, mais il reste que la philosophie de Spinoza et Brunschvicg dépasse la pensée biblique, qui est celle de l’Un séparé, transcendant, comme dirait Marie Anne Cochet qui a fort bien démontré la contradiction qui s’y trouve.
La pensée selon l’Un de Brunschvicg est celle de l’un immanent à lEsprit, l’un se constituant et toujours en train de se constituer.